"Pendant longtemps quand je revenais à Villefontaine c’était dur ! j’avais l’impression d’être un traitre, un truc comme ça ! J’avais l’impression d’être infidèle à la ville qui m’avait vue grandir car je fréquentais des gens socialement différents…"
Soheyl Sari Aslani
Bonjour Efrasis, vous qui êtes « un enfant de Villefontaine »… qui écrivez, rappez, pouvez-vous vous présenter en quelques mots ?
Je m’appelle Soheyl Sari Aslani, mon nom de scène est Efrasis, j’ai 24 ans et j’ai passé les 18 premières années de ma vie à Villefontaine dans le quartier des Roches et du Mas de la Raz. Je suis allé au lycée Léonard De Vinci en 2014 où j’ai suivi un cursus littéraire… Un choix d’orientation évident car j’ai toujours été un amoureux des mots et des lettres.
En effet, j’ai toujours eu cet « esprit littéraire » que j’assimile à la créativité et au fait de se poser des questions tout en acceptant qu’il n’y ait pas de réponses voir même de ne pas aimer les réponses.
C’est à cette époque que vous avez commencé à écrire ?
Non, bien avant. En réalité, j’ai toujours été un amoureux des mots, des rimes, des figures de style. J’ai aussi toujours beaucoup lu, et très jeune je me suis mis à écrire. De tout. Tout ce qui me passait par la tête et le cœur, et essentiellement de la poésie.
J’ai toujours eu un lien particulier avec la langue. La langue française, mais aussi le Farsi, la langue de mon père. Il est arrivé d’Iran dans les années 80 et j’ai donc grandi dans la richesse d’une double culture très plurielle. Mon enfance a été singulière, j’ai toujours eu beaucoup de choses en tête, beaucoup de questionnements et d’angoisses, et c’est dans l’écriture que j’ai trouvé un refuge.
La langue est pour moi une pâte à modeler. Les mots sont des outils pour mieux se comprendre et pour mieux se décrire. Je n’arrêterais jamais d’écrire.
Comment en êtes-vous venu à faire du rap ?
J’ai toujours posé mes pensées, mes émotions sur le papier et en parallèle j’écoutais énormément de rap… et puis j’ai fait du théâtre à Villefontaine, je suis monté sur scène ce qui m’a permis de prendre confiance en moi et de trouver ma place, et peu à peu c’est devenu une évidence.
Il fallait que je réunisse ma passion pour la musique hip-hop, les mots et la scène… Je dois avoir cette envie depuis longtemps car enfant, pendant les réunions de famille, j’étais le gamin qui faisait des spectacles.
Et puis ma mère joue un rôle important dans cette histoire car elle m’a toujours soutenu !
Pourquoi êtes-vous parti de Villefontaine ?
Après le lycée je suis parti poursuivre mes études à Grenoble, il le fallait non pas pour effacer mon identité villarde mais pour la compléter ! En gros j’étais un gars des quartiers populaires et je suis devenu un mec qui a fait des grandes études (NDLR : il a commencé par une prépa Littéraire puis a poursuivi vers Sciences Po dont il a été diplôme à l’été 2021).
Pendant mes études, j’ai été ce qu’on appelle un « transfuge de classes » en côtoyant des personnes qui n’avaient rien à voir avec mon statut social… c’était violent mais en même temps très intéressant car ça m’a permis d’évoluer mais en aucun cas de changer… Aujourd’hui je suis pleinement moi !
Pendant longtemps quand je revenais à Villefontaine c’était dur ! J’avais l’impression d’être un traitre, un truc comme ça ! J’avais l’impression d’être infidèle à la ville qui m’avait vue grandir car je fréquentais des gens socialement différents.
À quel moment cette passion des mots et de la scène est devenue un projet de carrière ?
Pas tout de suite évidemment ! Tout a commencé à prendre forme entre prépa et Sciences Po… Je suis allé un an à la fac je voulais vraiment faire des études et réussir au « sens traditionnel », je préparais l’Ecole Normale Supérieure et ne l’ai pas eu, ça a été vraiment une grosse désillusion !
C’était la fin d’un cycle, j’étais un peu perdu et je me suis dit que les grandes études ne me correspondaient pas tant que ça ! Comme j’avais plus de temps, j’ai participé à des « Open Mic », j’ai rencontré des gens et fait plus de musique, je suis allé dans des studios et tout s’est accéléré…En 2019, j’ai beaucoup tourné sur Grenoble mais je suis quand même allé à Sciences Po pour terminer mes études, pour me rassurer dans un premier temps mais surtout pour rassurer mes parents ! En vrai, pendant ces 2 ans je ne suis pas allé beaucoup en cours et j’ai mis beaucoup d’énergies et de temps dans la composition de mes chansons.
Aujourd’hui, je vis le rap à 100%… Mes revenus proviennent des concerts et des ateliers d’écriture et de prise de parole que j’anime…
Vous êtes de retour pour des ateliers d’écriture dans les collèges dans le cadre d’un concours d’éloquence, comment vous en êtes arrivé à proposer ces ateliers ?
C’est pendant mes études que j’ai découvert ce qu’était l’éloquence même si en vrai je préfère parler de prise de parole ! A la base c’est un exercice qui se fait à l’université, souvent dans les facs de droits et qui pourrait se résumer à « c’est la personne qui parle le mieux qui sera la plus convaincante ». Pendant ma première année d’études c’est ma professeure de grec qui m’a inscrit de force à un concours d’éloquence à Annecy… je ne le savais pas ! Je l’ai appris le jour même et à ma grande surprise j’ai gagné ! C’était incroyable !
L’éloquence, c’est juste un vrai exercice d’écriture et de prise de parole et c’est tout ce que j’aime ! Concilier les mots et la scène ! Par la suite j’ai fait d’autres concours d’éloquence qui m’ont plutôt réussi dont celui de « Sciences Po Grenoble » et j’ai également participé au prix Mirabeau qui est le concours de tous les Sciences Po avec une délégation grenobloise et nous avons fini 3ème. C’est le Crous de Grenoble qui m’a donné ma chance au début de faire des ateliers d’écriture, je me suis fait des contacts et j’en ai fait plusieurs en 2020-2021, même pendant le confinement ou je les proposais en visio. Je suis notamment intervenu en prison pour mineurs, c’est la professeure de lettres de la prison de Varces sur Grenoble qui m’a entendu à la radio et qui a beaucoup aimé ce que je faisais… elle est venue me voir en concert et le lendemain elle m’a proposé d’intervenir dans son établissement.
J’ai ensuite poursuivis ce type d’atelier car j’ai toujours aimé la transmission, déjà parce que je viens d’un milieu populaire et parce que je suis convaincu qu’on n’a pas tous les mêmes chances… Concernant mon intervention dans les collèges de Villefontaine, l’idée est de donner la parole aux jeunes, à des minorités invisibles où la parole n’est pas valorisée. Mon but est de transmettre des petites clefs à ces collégiens pour qu’ils puissent mieux s’exprimer dans leurs vies personnelles et professionnelles. Je trouve que c’est un savoir-faire et un savoir-être important.
Avec ce concours d’éloquence ce que je veux c’est que les jeunes se sentent au centre des choses, de la ville et surtout qu’on leur donne vraiment la parole…
C’est un peu comme un rite initiatique et le fait de monter sur scène, de se faire regarder, écouter je sais que ça peut être un déclic pour certains ! La finalité ne sera pas forcément de devenir artiste mais de se dire « Ah ouais ! J’ai cette puissance en moi ! » c’est ce que je leur dis tout le temps ! Par exemple j’adore les élèves qui parlent doucement, je leur fais faire un exercice ou je les fais crier, hurler pour les motiver à dégager cette puissance qu’ils ont en eux !
Comment va se dérouler ce concours ?
Je suis intervenu en début d’année pendant 1h30 dans toutes les classes de 3e, non pas pour voir qui sont les meilleurs mais vraiment pour les briefer, échanger avec eux ! Il y a ensuite eu une sélection dans chaque classe puis une finale dans chaque collège pour élire deux représentants qui défendront les couleurs de leur établissement lors de la grande finale qui aura lieu le 19 mai à la salle Daniel Balavoine.
Ce jour-là je ferais un concert avant que les 6 finalistes s’affrontent ! A chaque étape, je retrouve les élèves qualifiés et on discute de leurs envies, de leur manière d’écrire et de dire leur texte. J’essaie de les accompagner au mieux, de leur donner de la confiance, de leur permettre d’exprimer leur singularité et leur identité !
Parlons de votre seconde casquette plus artistique, celle de rappeur…
Dans mes textes, je parle de rapports humains, de relations humaines, familiales, ou amicales (positives ou négatives) : des choses de la vie en général ! C’est d’ailleurs le nom que j’ai donné à ma dernière mixtape ! j’essaie d’avoir un point de vue résolument optimiste, de parler du fait d’être rassemblés, de mettre l’accent sur ce qui nous lie ou sur la beauté et la richesse de nos différences…
Les choses de la vie ça sonne comme quelque chose de négatif, comme le poids que tu as sur les épaules, les désillusions, les drames familiaux, mais aussi positivement, comme tous ces moments de partage, de rencontre et de complicité qui font la saveur de l’existence. Je trouve cette dualité intéressante elle est au centre de nos vies, et je la place au centre de mon art pour toucher le plus grand nombre.
En gros je parle de l’existence de manière générale parce que je me pose des questions, je pense que c’est mon côté philosophe (rires).
Pour conclure pouvez-vous nous parler de vos futurs projets ?
Malheureusement je ne peux pas vous dire grand-chose, mon producteur me tuerai ! (rires)
Mais je peux quand même vous dévoiler que nous travaillons actuellement sur mon premier album qui devrait sortir l’année prochaine…
Et puis, maintenant que je vis de ma passion j’entends continuer à prendre de l’ampleur en tant que rappeur, et continuer à transmettre aux jeunes générations.
Son endroit préféré à Villefontaine
Place Nelson Mandela, aux Roches
Ses moments clés
- 2014 : ses débuts dans le rap
- 2020 : signature dans le label isérois « Bassthet production »
- 2021 : sortie de sa mixtape « Les choses de la vie »
- 2021 : diplômé de Sciences Po Grenoble